Réguler l’Usage de l’Intelligence Artificielle dans les Conflits Armés : Défis et Initiatives Internationales Aya HANINE, 16/10/202416/10/2024 Partager l'article facebook linkedin emailwhatsapptelegramIntroductionL’utilisation croissante de l’intelligence artificielle (IA) dans les domaines militaire et des conflits armés soulève de nombreuses interrogations éthiques, juridiques et sécuritaires. En permettant l’automatisation de processus décisionnels et opérationnels, l’IA pourrait radicalement transformer la manière dont les guerres sont menées. Cependant, son emploi, en particulier à travers les systèmes d’armes létales autonomes (SALA), génère des préoccupations quant au respect du droit international humanitaire, des droits humains, et des principes éthiques fondamentaux.Face à cette évolution, la communauté internationale a entrepris de multiples initiatives visant à réguler, encadrer, voire interdire l’utilisation de l’IA dans les conflits armés. Cet article se propose d’examiner en profondeur ces initiatives, leurs objectifs, ainsi que les défis auxquels elles sont confrontées dans un contexte géopolitique complexe.I. L’intelligence artificielle dans les conflits armés : enjeux éthiques et stratégiquesL’intelligence artificielle militaire : applications et implicationsL’intelligence artificielle dans le domaine militaire englobe une variété d’applications allant des systèmes de surveillance automatisés à l’utilisation d’armes autonomes. Parmi les systèmes les plus controversés figurent les drones autonomes, capables d’identifier et d’engager des cibles sans intervention humaine directe. Les systèmes d’armes autonomes suscitent des inquiétudes car ils remettent en cause l’idée même de responsabilité humaine dans les décisions de vie ou de mort.Ces systèmes utilisent des algorithmes complexes de reconnaissance faciale, de suivi, et de classification de cibles, et peuvent opérer dans des environnements de guerre où l’erreur humaine est potentiellement réduite. Cependant, l’absence d’une supervision humaine directe dans le processus de décision peut mener à des erreurs catastrophiques, notamment en cas d’identification erronée de civils ou de cibles non militaires.Les risques d’escalade et de déshumanisation des conflitsLa montée de l’IA dans les conflits armés pourrait favoriser une course aux armements technologiques. Les puissances militaires, soucieuses de maintenir un avantage stratégique, investissent massivement dans des technologies d’IA, alimentant ainsi une militarisation exponentielle de cette technologie. Cette course pourrait augmenter les risques d’escalade incontrôlée entre les grandes puissances, notamment en cas de défaillances des systèmes autonomes.En outre, l’usage de l’IA soulève la question de la déshumanisation des conflits. En confiant des tâches stratégiques et létales à des machines, la distance psychologique entre les combattants et les victimes est accrue, ce qui pourrait diminuer le seuil moral de recours à la violence. Les décisions prises par des machines, aussi sophistiquées soient-elles, peuvent manquer de la flexibilité morale et éthique nécessaire pour éviter des tragédies humanitaires.II. Les initiatives internationales pour réguler l’usage de l’IA dans les conflits armésLes Nations Unies et le Groupe d’experts gouvernementaux (GEG)L’une des principales plateformes internationales où se discutent les questions relatives à l’utilisation de l’IA dans les conflits armés est la Convention sur certaines armes classiques (CCAC) des Nations Unies. En 2013, un Groupe d’experts gouvernementaux (GEG) a été formé pour examiner la question des systèmes d’armes létales autonomes. Ce groupe réunit régulièrement des représentants d’États, d’organisations non gouvernementales, de la société civile et d’experts techniques pour discuter des enjeux juridiques et éthiques liés à ces technologies.Le GEG a reconnu la nécessité d’un cadre juridique clair, capable d’encadrer le développement et l’utilisation des systèmes d’armes autonomes. Cependant, malgré des discussions régulières et approfondies, aucun consensus clair n’a encore émergé quant à une interdiction totale ou à une régulation stricte de ces technologies. Certains pays, comme les États-Unis et la Russie, sont réticents à l’idée d’une interdiction totale, arguant que cela freinerait leur capacité à innover dans le domaine militaire.La Campagne pour Stopper les Robots TueursUne des initiatives les plus médiatisées et influentes en matière de régulation des systèmes d’armes autonomes est la Campagne pour Stopper les Robots Tueurs. Lancée par une coalition d’ONG, cette campagne plaide pour une interdiction préventive des systèmes d’armes totalement autonomes qui peuvent identifier et attaquer des cibles sans intervention humaine.La Campagne met en avant le risque d’une dérive incontrôlable si ces armes venaient à être largement déployées, soulignant que l’absence d’une supervision humaine directe pourrait conduire à des violations massives du droit humanitaire international. Elle plaide également pour la préservation du contrôle humain sur les décisions relatives à l’usage de la force, en insistant sur l’importance de la dignité humaine et du respect des droits fondamentaux.Les propositions de l’Union européenneL’Union européenne (UE) s’est également engagée dans la régulation de l’IA en contexte militaire. En 2018, le Parlement européen a adopté une résolution appelant à l’interdiction des systèmes d’armes autonomes capables de fonctionner sans intervention humaine. Cette initiative s’inscrit dans une volonté plus large de l’UE de se positionner comme leader éthique sur la scène internationale en matière de nouvelles technologies.L’UE insiste sur la nécessité d’un cadre juridique international robuste pour garantir que l’utilisation de l’IA dans les conflits armés respecte les normes du droit international humanitaire et les principes de proportionnalité, de distinction et de nécessité. Toutefois, l’UE doit composer avec la diversité des positions au sein de ses États membres, certains étant plus réticents à des mesures contraignantes en matière de défense.Le rôle du Comité international de la Croix-Rouge (CICR)Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), en tant que gardien du droit international humanitaire, joue également un rôle clé dans le débat autour de l’IA militaire. Le CICR a exprimé à plusieurs reprises ses préoccupations concernant les implications humanitaires de l’utilisation d’armes autonomes, en insistant sur la nécessité de maintenir une supervision humaine adéquate.Pour le CICR, l’enjeu est de garantir que les systèmes autonomes respectent les principes fondamentaux du droit de la guerre, tels que la distinction entre combattants et non-combattants, la proportionnalité des attaques, et la responsabilité des actions. Dans ce cadre, le CICR préconise une approche de précaution, qui inclut des restrictions sur l’utilisation de l’IA dans les armes et des obligations strictes de transparence pour les États qui développent ces technologies.III. Défis et perspectives pour la régulation internationale de l’IA dans les conflits armésLes tensions géopolitiques et la course à l’armementUn des principaux obstacles à la mise en place d’une régulation efficace réside dans la dynamique de compétition stratégique entre les grandes puissances. Les États-Unis, la Chine et la Russie investissent massivement dans le développement d’armes autonomes, chacun cherchant à conserver ou à accroître son avance technologique. Cette course à l’armement limite les possibilités d’un consensus global sur une interdiction ou une régulation contraignante des systèmes autonomes, en raison des enjeux de sécurité nationale.Les incertitudes technologiques et juridiquesLe développement rapide de l’IA et des technologies connexes dépasse souvent les cadres juridiques actuels. Le droit international humanitaire, conçu pour des conflits menés par des humains, peine à s’adapter aux réalités nouvelles créées par les systèmes autonomes. Par exemple, comment attribuer la responsabilité en cas d’erreur ou de bavure commise par une machine ? Les législations actuelles ne répondent pas encore pleinement à ces interrogations complexes.En outre, la nature encore évolutive de l’IA pose des difficultés quant à la prévision de ses capacités futures et de ses impacts sur les conflits armés. Les incertitudes quant aux limites et aux potentiels dangers des systèmes autonomes rendent difficile l’élaboration de règles précises et adaptées.La nécessité d’un engagement multi-acteursPour qu’une régulation internationale soit efficace, il est indispensable d’impliquer non seulement les États, mais aussi les entreprises du secteur technologique, les organisations de la société civile et les experts en éthique. Le secteur privé, en particulier, joue un rôle clé dans le développement de l’IA militaire, et sa collaboration est essentielle pour garantir un développement responsable et éthique de ces technologies.ConclusionLa régulation de l’intelligence artificielle dans les conflits armés est un défi complexe, qui mêle des considérations éthiques, juridiques, technologiques et géopolitiques. Les initiatives internationales, bien qu’encourageantes, sont encore fragmentées et peinent à suivre le rythme des avancées technologiques. Face à la montée des systèmes d’armes autonomes, il est urgent que la communauté internationale trouve un consensus sur la manière de garantir que l’IA soit utilisée de manière responsable et conforme aux principes du droit international humanitaire. La voie à suivre passera nécessairement par une collaboration accrue entre les États, les organisations internationales, le secteur privé, et la société civile, ainsi que par la mise en place d’un cadre juridique solide, capable d’encadrer l’utilisation de l’IA militaire.Un équilibre délicat doit être trouvé entre le développement technologique, les intérêts sécuritaires et la protection des droits humains. La priorité doit être donnée à la préservation du contrôle humain sur l’usage de la force, et à l’assurance que toute utilisation de l’IA dans les conflits armés respecte les principes fondamentaux de proportionnalité, de distinction et de responsabilité.À l’avenir, la gouvernance de l’IA dans les conflits armés nécessitera des efforts constants et des ajustements en fonction des nouvelles avancées technologiques. La question centrale restera : comment garantir que l’IA, une fois intégrée dans le domaine militaire, serve les intérêts de l’humanité sans compromettre la paix, la sécurité et les droits des individus pris dans les conflits armés ? Technologie intelligence artificielle