L’intelligence artificielle et le jeu de Go : une révolution stratégique au-delà de l’humain Aya HANINE, 19/10/202419/10/2024 Partager l'article facebook linkedin emailwhatsapptelegramIntroductionLe Go est un jeu de stratégie d’origine chinoise, reconnu pour sa simplicité apparente et sa profondeur stratégique. Il se joue sur une grille de 19×19, où deux joueurs placent des pierres noires et blanches dans le but de capturer le plus grand territoire possible. Ce qui distingue le Go des autres jeux de stratégie, comme les échecs, c’est le nombre incalculable de combinaisons possibles à chaque mouvement, rendant chaque partie unique. Pendant longtemps, il était considéré comme un domaine hors de portée de l’intelligence artificielle (IA) en raison de sa complexité. Cependant, l’avènement d’AlphaGo, une IA développée par DeepMind, a bouleversé ce préjugé, marquant un tournant historique dans la relation entre IA et stratégie humaine.Le Go : Un défi unique pour l’IAAvant l’émergence d’AlphaGo, l’intelligence artificielle avait déjà fait des percées remarquables dans le domaine des jeux de stratégie. Des programmes comme Deep Blue d’IBM avaient battu des champions d’échecs dès 1997. Cependant, le Go présentait un défi d’une toute autre nature. La taille du plateau et le nombre de coups possibles rendent le Go plus complexe que les échecs. Alors qu’aux échecs, il y a environ 20 mouvements possibles à chaque tour, le Go en propose souvent plus de 200. La branche de l’arbre de décisions explose littéralement, rendant les techniques de calcul par force brute inefficaces. Les maîtres du Go s’appuient non seulement sur des stratégies apprises, mais aussi sur l’intuition, ce qui rendait l’idée d’une IA surpassant les humains dans ce domaine presque inconcevable.C’est ici qu’AlphaGo entre en scène. Développé par la filiale de Google DeepMind, AlphaGo n’était pas un simple programme basé sur la force brute. Il utilisait une technique avancée appelée apprentissage profond (deep learning) associée à des réseaux neuronaux artificiels, ce qui lui permettait de « comprendre » le jeu de manière bien plus intuitive. En effet, AlphaGo s’entraînait non seulement sur des bases de données de millions de parties, mais il jouait également contre lui-même, affinant ainsi ses propres stratégies.L’avènement d’AlphaGo et la victoire contre Lee SedolEn 2016, AlphaGo a affronté Lee Sedol, un joueur considéré comme l’un des plus grands maîtres du Go au monde. Cette rencontre a capté l’attention de millions de personnes à travers le monde, car elle représentait bien plus qu’un simple jeu. La victoire éventuelle d’AlphaGo serait une démonstration spectaculaire de la puissance de l’intelligence artificielle.Lors de cette série de cinq parties, AlphaGo a battu Lee Sedol quatre fois, une performance stupéfiante. Ce qui a frappé les observateurs, ce n’était pas seulement la capacité d’AlphaGo à gagner, mais la manière dont il jouait. À plusieurs reprises, AlphaGo a exécuté des mouvements non conventionnels, des stratégies que même les meilleurs joueurs humains n’auraient jamais envisagées. L’un des moments les plus mémorables fut le fameux coup 37 de la deuxième partie, un mouvement si inhabituel que beaucoup ont initialement pensé qu’il s’agissait d’une erreur. Pourtant, ce coup a finalement été perçu comme un génie stratégique, marquant un tournant dans la partie.Bien que Lee Sedol ait réussi à gagner une partie contre AlphaGo, la domination globale de l’IA dans cette série a prouvé que les machines pouvaient désormais rivaliser – et même surpasser – les humains dans des jeux aussi complexes que le Go.Les techniques derrière AlphaGo : L’apprentissage profond et les réseaux neuronauxL’un des aspects les plus fascinants d’AlphaGo est la technologie sous-jacente qui l’a rendu si performant. Contrairement aux anciens systèmes basés sur des règles et la puissance brute de calcul, AlphaGo repose sur une combinaison d’apprentissage supervisé et d’apprentissage par renforcement.L’apprentissage supervisé signifie qu’AlphaGo a été formé en analysant des milliers de parties jouées par des experts humains. Il a appris à reconnaître des motifs et à évaluer quelles positions sont plus ou moins favorables. Cela lui a donné une compréhension de base du jeu.Cependant, ce qui a véritablement permis à AlphaGo de se dépasser, c’est l’apprentissage par renforcement. Après avoir acquis des connaissances de base à partir de parties humaines, AlphaGo a ensuite commencé à jouer contre lui-même des millions de fois. À chaque partie, le programme s’améliorait, découvrant de nouvelles stratégies et affinant son jugement. Ce processus a été guidé par deux réseaux neuronaux profonds : un réseau de valeur, qui estimait les chances de victoire pour une position donnée, et un réseau de politique, qui proposait les coups les plus prometteurs.De plus, AlphaGo utilisait une technique appelée « Monte Carlo Tree Search » (MCTS), qui lui permettait de simuler et d’évaluer des séquences de coups possibles. Cela lui donnait une capacité unique à explorer un grand nombre de scénarios, tout en prenant en compte les coups qui avaient le plus de chances de succès.Les conséquences pour la communauté du GoLa victoire d’AlphaGo n’a pas seulement été une défaite pour Lee Sedol, mais un bouleversement pour toute la communauté du Go. Pour des milliers d’années, les humains avaient développé des stratégies et des approches spécifiques du jeu. Mais avec AlphaGo, de nouvelles possibilités stratégiques ont émergé. Les coups non conventionnels joués par AlphaGo ont poussé les joueurs à reconsidérer certaines des idées fondamentales du jeu.Des maîtres du Go ont commencé à étudier les parties d’AlphaGo pour comprendre ses stratégies, apprenant parfois des méthodes qu’ils n’avaient jamais envisagées. Cela a entraîné une véritable révolution dans la manière de jouer et d’enseigner le Go. En effet, des écoles de Go à travers le monde ont commencé à intégrer les techniques d’AlphaGo dans leurs formations.AlphaGo Zero : L’évolution d’une IA autonomeL’aventure ne s’est pas arrêtée là. Peu après la victoire contre Lee Sedol, DeepMind a introduit une version encore plus avancée de son programme : AlphaGo Zero. Contrairement à la première version, AlphaGo Zero n’a pas été formé sur des parties humaines. Il a appris à jouer au Go à partir de zéro, en ne connaissant que les règles du jeu. Grâce à l’apprentissage par renforcement, AlphaGo Zero a joué des millions de parties contre lui-même et a atteint un niveau de compétence bien supérieur à celui d’AlphaGo en seulement quelques jours.La performance d’AlphaGo Zero est stupéfiante, non seulement parce qu’il a surpassé son prédécesseur, mais aussi parce qu’il l’a fait sans s’appuyer sur les connaissances humaines. Cette avancée montre le potentiel des IA capables de s’auto-enseigner et d’inventer des stratégies qui dépassent la compréhension humaine.Les limites et les perspectives futures de l’IA dans le GoBien qu’AlphaGo et ses successeurs aient atteint un niveau de compétence inégalé, des questions demeurent quant aux limites de l’intelligence artificielle dans le domaine du Go. Certaines de ces questions concernent l’aspect humain du jeu. En effet, pour de nombreux passionnés, le Go est plus qu’un simple calcul stratégique ; c’est un art qui demande créativité et intuition.L’IA, bien qu’excellente dans l’analyse de données et l’optimisation des coups, peut-elle vraiment saisir la beauté et l’esthétique du jeu ? Ces questions soulèvent un débat plus large sur l’impact de l’IA dans les domaines qui reposent sur des éléments intangibles comme la créativité, l’émotion ou l’intuition.Implications philosophiques et éthiquesLa victoire de l’intelligence artificielle sur les humains dans le Go ouvre des réflexions plus profondes sur la place de l’IA dans notre société. Si une IA peut surpasser les humains dans un jeu aussi complexe que le Go, quelles autres compétences humaines peuvent être menacées ? Comment les humains peuvent-ils coexister avec des machines qui semblent capables de les dépasser dans des tâches autrefois considérées comme exclusivement humaines ?De plus, l’IA dans le Go a montré que les machines peuvent parfois proposer des solutions que les humains n’auraient jamais envisagées. Cela soulève la question de savoir si, dans certains cas, les IA pourraient nous aider à résoudre des problèmes complexes dans d’autres domaines, de la médecine à l’ingénierie, en passant par les sciences sociales.ConclusionL’arrivée de l’intelligence artificielle dans le monde du Go, notamment à travers AlphaGo et ses successeurs, a marqué une étape clé dans l’histoire de l’IA. Plus qu’une simple victoire technologique, c’est une leçon sur les limites humaines, l’innovation stratégique, et l’émergence de nouvelles formes de créativité. Tandis que l’IA continue de progresser, le Go restera sans doute un symbole puissant des interactions entre humains et machines, entre tradition et modernité. Technologie et jeux intelligence artificielle